Juin 91. Debout devant la rédaction avec Ibrahim Karche, chef d’agence Sopecam de Douala et son photographe Abdou, nous nous apprêtons à  nous rendre aux obsèques de Mgr Ndongmo, ancien évêque de Nkongsamba. Une voiture ralenti et la vitre arrière s’abaisse. C’est Mr Samuel Eboua, ex- Secrétaire General de la présidence sous Ahidjo.

Il veut savoir si j’irai couvrir les obsèques de Mgr Ndongmo prévues pour le lendemain à Nkongsamba. J’entretenais de bonnes relations avec cet ainé, austère et de bon commerce. 

Devenu opposant, lors d’une réunion  du SDF à Buea, on s’y était retrouvé au milieu des années 9O, avec Ayissi Mvodo son ancien collègue. Débarrassé des ors et décors, ce n’était plus les mêmes personnes. 

A Nkongsamba,  au cours des obsèques,  la tribune réservée aux invités s’était écroulée au moment des cérémonies. Pasteurs et  personnalités se  sont retrouvés les quatre fers en l’air. Tirés des ‘décombres’, blessé, le père Eboua  a été évacué aussitôt à l’hôpital de Ndoungue pour les premiers soins.

« Mieux vaut aller dans une maison de deuil que d’aller dans une maison de festin; car c’est là la fin de tout homme, et celui qui vit prend la chose à cœur » ; dit l’ecclésiaste. L’ancien proche collaborateur d’Ahidjo s’en était fait une religion. Il était de tous les obsèques quand sa charge lui en laissait le temps, mais surtout après avoir quitté ses hautes fonctions.

On l’a vu aux obsèques de Kame Samuel à Baham ; Happi Gabriel, l’emblématique  Directeur du Protocole sous Ahidjo, à Bana.

La proximité de son village avec l’ouest en avait fait l’ami de plusieurs personnalités de la région et ceux qui résidaient dans le Moungo, du reste peuplé à 80 pour cent des ressortissants de cette petite région de 62O5 km2 qui souffrait d’espace et regorgeait d’ouvriers agricoles durs a la tache.

À Nkongsamba Il était proche de la famille de l’usinier Ngako Anselme à qui il confiait le café issu de ses plantations. Il en est de même de la famille Ngamou dont le fils Philippe est le réalisateur du documentaire sur sa personne. Au moment du retour au multipartisme ses compagnons les plus proches dans l’UNDP dont il est le fondateur sont: Maître Mbialeu, Grégoire Tiani, Jean Lebon Chatué… Le Docteur Njapoum dont il était proche et qui avec d’autres ont organisé pour lui des rencontres avec le Laakam.

Gilbert Kadji était à cette époque l’un des principaux animateurs du club de réflexion de l’UNDP. Lors des premières élections législatives, l’Undp comptait des députés dans la Menoua et dans les Bamboutos. L’ancien ministre Tetang Josue fut également de ceux qui l’ont accompagné politiquement à l’UNDP et ensuite au MDP et fut élu conseiller municipal à la Mairie de Douala quatrième aux élections municipales.

On se souvient des gorges chaudes qui continuent à faire croire qu’il a soustrait le CES de Mbouroukou (environ 5 km du centre ville dans l’arrondissement de Melong).  Il s’était ouvert à moi sur ce sujet, lors de l’inauguration de l’établissement  créé en 1978, érigé en Lycée en 1992, puis en Lycée Bilingue en 2006.

Nous remontions à pied le versant du Mont Manengouba à Mbouroukou pour descendre à Mbanguem dans la zone anglophone. Une bonne trotte mais un paysage de rêve. Sur l’un des flancs de la montagne, des pasteurs Bororo se baignaient de vent et de soleil au milieu des fleurs de montagne, en surveillant des troupeaux de chevaux.  Au fond de la vallée, deux magnifiques lacs jumeaux d’un bleu profond décoraient le paysage sacré. Les membres du gouvernement se sont alors sacrifiés aux rites des pièces de monnaie qu’il fallait jeter au fond des lacs avant notre passage pour la zone anglophone. Samuel Eboua était accompagné du ministre Félix Tonye Mbog et de Medjo Akono,  l’ancien gouverneur du littoral.

J’en profitais pour évoquer l’opportunité de créer le CES de Melong en zone rurale moins peuplé. Selon le ministre d’Etat, « le fait qu’il ne se situe pas au centre ville est tout simplement dû au fait que son implantation nécessitait plusieurs hectares et personne dans le centre ville de Melong n’était disposé à céder la moindre parcelle de son terrain pour la réalisation de ce projet gouvernemental. « Par contre les populations de Mbouroukou ont sauté sur l’occasion en offrant gracieusement à l’´Etat pratiquement une dizaine d’hectares. Si l’Etat avait fait le choix d’exproprier dans Melong-centre, les principales victimes de cette expropriation auraient été les allogènes. Que n’aurait t-on pas dit alors » ?

C’est de la qu’est parti cette fausse étiquette de tribaliste qu’on lui  colla à dessein. Effectivement il n’hésitait pas concernant les problèmes fonciers à réclamer que les droits des autochtones soient préservés. Même le Président Ahidjo qui tenait tant à la paix sociale lui en avait fait le reproche. « Le Cameroun sortait à peine d’une rébellion dont le Moungo a été le principal théâtre. Le Président avait peur de voir réveiller les vieux démons », me confia t’il.

Samuel Eboua était un protestant, un fervent chrétien nourri à la sauce de la rectitude morale.

Dans un de ses livres, il raconte  cette histoire de marché routier avec Badjika, le fils d’Ahidjo :

Alors qu’il est SG de la présidence, il doit trancher sur l’attribution d’un marché routier dans le grand nord Cameroun.  « On avait deux tronçons de route à construire dans la province du Nord, et la Commission Centrale des Marchés avait retenu deux entreprises. L’une d’elles se voyait attribuer le tronçon dont le montant approchait 4 milliards de francs CFA, et l’autre, le petit tronçon d’à peine 1,5 milliard. Ces propositions me furent soumises pour approbation. En examinant le rapport d’analyse, je me rendis compte que l’entreprise à laquelle le plus important tronçon était proposé n’avait aucune référence sur le territoire national. 

« Par contre, sa concurrente, qui devait se contenter de la portion congrue était installée dans le pays depuis longtemps, et avait dans son palmarès de nombreuses et sérieuses réalisations. J’inversai donc purement et simplement les propositions d’attribution qui m’étaient faites par la Commission.

Un de mes collaborateurs M. Nkoué  Maximin, fut délégué par ses camarades pour me revoir avec le dossier.  « Je suis venu vous voir parce que nous craignons pour votre carrière. 

– C’est le fils du Chef de l’Etat, Mohamadou Ahidjo qui a introduit cette entreprise. Il est venu la défendre en commission à plusieurs reprises avec le responsable de cette entreprise qu’il veut faire venir au Cameroun. 

– Parfait, lui dis-je. Nous ne demandons pas mieux. Plus il y aura d’entreprises qui soumissionneront, mieux jouera la concurrence. Ceci dit, allez et rédigez le communiqué dans le sens de mes instructions et rendez-le public. 

Ahidjo suivait de près tout ce qui se réalisait dans le domaine des infrastructures, je m’attendais à ce qu’il m’interroge sur ce marché lors d’une audience. Ne l’ayant pas fait, je décidai de lui en dire un mot moi-même, afin d’expliquer les raisons pour lesquelles je n’avais pas suivi les recommandations de la Commission dans ses conclusions. Il m’approuva. Et me révéla que son fils lui avait parlé de cette entreprise qu’il voulait introduire au Cameroun. 

Source : Samuel EBOUA in “Ahidjo et la logique du pouvoir” Pages 91-92

Aujourd’hui Samuel Eboua n’est plus. Le renouveau ne l’a pas épargné. Comme tant d’autres, Il a payé cher sa présence dans l’opposition. Mais il a laissé à la postérité, des témoignages pour comprendre le régime Ahidjo et ‘l’éventuelle concurrence’, chaotique pour dire le moins,  instaurée après lui.

Edouard kingue

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