Le président Paul Biya est passé maître dans l’art de l’esquive. Dans son dernier discours du 9 septembre 2019 qui se voulait sans concession et d’une extrême fermeté, le peuple est resté sur sa faim. Fallait-il attendre trois années pour s’adresser à la nation alors que le Cameroun est en proie à l’insécurité, à l’injustice et à la pauvreté ?
Pour les observateurs éclairés, ce monologue n’est qu’une conjonction d’onomatopées d’un chef de guerre à bout de nerf. Mais prenons soin de décrypter ce discours cynique et méprisant qui caractérise un homme très éloigné des préoccupations majeures du camerounais. Faut-il lui rappeler qu’il navigue toujours à contre-courant ? 
 

  • Les conflits au Cameroun ont commencé depuis trois ans dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Fallait-il attendre plus de trois ans pour se prononcer sur des conflits qui mettent à mal la stabilité du pays ? L’effort de guerre aurait pu être évité si des mesures appropriées pour mettre fin à ces conflits avaient adhéré tous les camerounais.
  • Dans un climat de suspicion provoqué par l’exécutif qui oppose une fin de non-recevoir aux revendications des anglophones (Le retour au fédéralisme, La traduction en anglais du Code de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) et les demandes plus loufoques de séparatisme), Paul Biya aurait dû convoquer une table ronde citoyenne pour débattre librement des sujets invoqués.
  • Si nos dirigeants se donnaient la peine de consulter les corporations avant de prendre des mesures impopulaires, ce conflit aurait pu être évité. Mais, ce n’est pas le cas. Yaoundé décide et le Cameroun s’aligne sur des prérogatives arbitraires. 
  • Le processus de décentralisation évoqué par Paul Biya n’est qu’une slave de mesurettes pour faire diversion et qui ne peuvent plus masquer la faiblesse parlementaire du Cameroun. Nul n’ignore, Monsieur le Président, qu’avec vous, le temps est élastique, erratique et sans lendemain. La politique du pourrissement est l’une de vos marques. Mais elle ne passe plus. 
  • Yaoundé ne sait et ne veut point partager. Dans ce cas, peut-on parler de décentralisation pour apaiser les esprits ? Non, Monsieur le Président. Sur le terrain, rien n’a changé.
  • Monsieur le Président, votre rhétorique est immuable. Le complot vient toujours de l’étranger. Est-ce l’étranger qui a instauré un système de bakchich qui pénalise l’investissement et qui enrichit les fonctionnaires véreux ?  Est-ce l’étranger qui a fait foirer la CAN (Coupe d’Afrique des Nations) alors que vous vous êtes engagé, devant des millions de camerounais à organiser cet événement sportif africain et planétaire ?
  • Ne vous dédouanez pas, Monsieur le Président. L’ennemi est à l’intérieur. Il pille impunément le Cameroun avec la complicité d’une justice aux ordres. Imaginez, Monsieur le Président, tous ces investissements manqués à cause des pilleurs des deniers publics !  Le Cameroun n’aurait plus besoin de mendier auprès du FMI ni de la Banque Mondiale si vous preniez la sage décision de confisquer les fortunes des pensionnaires victimes de l’Opération Épervier de la réputée prison de Nkondengui.
  • Monsieur le Président, la guerre, par définition, est atroce. Elle l’est encore plus quand deux frères se livrent une bataille sans issue car ils sont condamnés à vivre ensemble, malgré les morts et les cicatrices indélébiles. Vous auriez pu faire l’économie d’une guerre en réagissant très rapidement. Ne dit-on pas que gouverner c’est prévoir ? Vous n’avez pas été à la hauteur de la situation. Votre équipe n’a pas su ou voulu vous informer car elle doit tirer un bénéfice à cette situation scabreuse où l’achat de matériels militaires enrichit quelques-uns. Les exactions de l’armée n’ont pas calmé les esprits. Les deux camps ont beaucoup à se reprocher et à se pardonner. 
  • Monsieur le Président, vous avez attendu trois ans pour vous adresser à votre peuple. Trois ans, c’est excessivement long. Dans une démocratie, l’Assemblée Nationale aurait débattu rapidement du sujet pour éviter une effusion de sang. Ce n’est pas le cas au Cameroun où tous les sujets politiques et militaires sont tabous. Le sang coule gratuitement depuis que cette guerre a débuté. Les militaires sont épuisés par guerre fratricide qui met toute une région à feu. L’école, dans ces conditions ne peut s’ouvrir à tous les enfants. Devrait-on encore sacrifier une génération ?
  • Monsieur le Président, sur le plan militaire, la victoire s’éloigne tous les jours. La détermination des sécessionnistes n’a pas pris une ride. Ce sont nos militaires qui en font les frais. Et pour quelle cause ? Ce sacrifice mérite au moins votre reconnaissance. Mais, avez-vous jamais assisté à leurs funérailles et les décorer pour leur bravoure à titre posthume ? Non !
  • Les décisions prises jusqu’ici pour mettre fin au conflit ne pouvaient apaiser la colère d’une région marginalisée dont le seul tort est d’être anglophone au milieu des francophones peu enclin à partager le gâteau. Il fallait, dès le départ, convoquer une table ronde où les revendications globales des anglophones, à travers les hommes de loi, seraient prises en compte. Cette crise est l’expression du mal être de toute une région. La traduction des manuels en anglais n’était que l’arbre qui cachait la forêt. 
  • Monsieur le Président, votre offre de paix est la bienvenue. Mais les conditions que vous exigez sont inacceptables. Pour une paix durable, vous devez annoncer un armistice total. Nous pouvons l’appeler la paix des braves. Elle est la seule condition pour tourner une page triste de notre histoire qui a déjà connu les affres de la guerre. Aujourd’hui, nous sommes indépendants. Nous le devons à nos nationalistes qui ont sacrifié leur vie pour nous libérer. 
  • Monsieur le Président, avez-vous conscience de l’extrême pauvreté qui décime quotidiennement le Cameroun ? Nous pouvons en douter. Savez-vous que les hôpitaux manquent de médicaments et sont saturés ? Ignorez-vous que le corps médical est exténué ?  Que dirait-on de nos campagnes où un accouchement devient un chemin de croix ? La pauvreté est devenue la principale pandémie qui dévaste les villes et la campagne. L’insécurité galopante pousse le citoyen à se barricader dès la tombée de la nuit. La journée, sous le soleil ; n’est pas plus sécurisante
  • Monsieur le Président, les camerounaises et les camerounais ont faim. Ils ne s’expliquent pas pourquoi vous ne prenez pas de mesures dissuasives pour enrayer la corruption et le tribalisme. Ils ne comprennent surtout pas vos choix au cours des nominations à des postes clé où la méritocratie bat de l’aile.
  • Vos promesses ne font plus recette. C’est pourquoi vous devez provoquer, très rapidement, une conférence nationale avec tous les séparatistes pour une paix des braves. Nous avons tous suivi la guerre irlandaise. Tout laissait prédire qu’aucune réconciliation n’était possible. Le dialogue a triomphé. La sagesse aussi. Rien n’est impossible entre frères.  En excluant quelques sécessionnistes du dialogue national, vous commettez une grave erreur. La paix doit être globale pour amorcer une paix durable. 
  • Monsieur le président, le Cameroun a besoin de réconcilier ses enfants à bout de nerfs. Vous détenez la clé de cette réconciliation nationale qui ne doit exclure personne. Pour y parvenir, vous avez le devoir, en tant que chef suprême, de libérer tous les prisonniers politiques.
  • Monsieur le président, le Cameroun se construira par tous ses enfants, du Nord au sud, de l’Ouest à l’Est. Sortez enfin de votre monologue habituel et rétrograde pour libérez toutes les énergies créatrices que le tribalisme et népotisme ont étouffé.

Après des décennies marquées par des manquements, des jugements confus et arbitraires, le Cameroun mérite une gouvernance responsable pour affronter l’avenir. La jeunesse est sa force. Elle est disponible et aspire à mieux vivre pour bâtir une grande nation africaine. Pour ces raisons, vous ne devez exclure personne du grand débat national. Libérez tous les prisonniers politiques et tous les sécessionnistes, monsieur le président. Votre honneur sera sauf.
 
 
Par Michel Lobé Etamé
Journaliste

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