On me pardonnera pour une fois de parler à la première personne. Mais une fois n’est pas coutume dit-on justement, une exception n’enlevant à la règle que ce qu’elle a de trop rigide. Alors qu’il me soit permis de dire à ceux qui me font de manière récurrente un procès politique ou d’intention que la confusion des concepts n’a jamais accouché la vérité mais de l’incompréhension génératrice de discorde. Et pour cause, certains se croient autorisés à dire que dans ma position d’universitaire, j’aiderais à l’immobilisme par silence ou accointances incestueuses avec le Gouvernement de la République, et si ce n’est moi, c’est la majorité de mes collègues. Si c’était vrai, et j’en doute, cela est leur choix, et c’est un choix d’homme avant tout qu’il faut respecter car cela n’enlève rien à leur qualité. Utiliser sa position pour une carrière politique n’est pas forcément intervenir ex-qualité, quelques abus étant cependant à noter et ils sont connus des uns et des autres. Cela dit, mes donneurs de leçons ajoutent comme cerise sur le gâteau, que ceux qui souhaitent le changement seraient dans ou doivent rejoindre le camp d’en face, l’opposition politique et en l’occurrence le MRC. Il serait inconséquent de nier son aspiration au changement, son projet politique en est la preuve et l’accueil d’une partie non négligeable des Camerounais en apporte la démonstration. Mais cette vision (pouvoir/opposition) est manichéenne et donc simpliste car elle dénote chez certains soit de la mauvaise foi, soit le surdimensionnement de leur contribution au changement dans notre pays, soit l’ignorance de leur ignorance. Dans ce dernier cas, ils sont un problème pour eux-mêmes, leur entourage et leur parti politique. A ceux-là, je voudrais dire ici modestement qu’il y a une distinction entre servir son pays et servir un gouvernement ou servir un projet politique. C’est une société du mieux-être qui est recherchée dans   les trois cas, mais là s’arrête la ressemblance. Le premier service, le service à son pays, ne demande pas forcément un engagement politique partisan, il est d’ailleurs plus désintéressé. Dans ma position de professeur d’Université avec des fonctions d’enseignant-chercheur, je ne suis pas par nature un politique même si certains peuvent l’être par destination ; je sers mon pays en faiseur d’avenir, en formant les enfants au savoir-faire et au savoir-être au sein de mon institution, mon lieu de contribution. Un besoin d’objectivité et d’indépendance sont nécessaires dans ce sens et plus encore pour un travail de recherche scientifique. Par ma recherche scientifique et non politique, car je n’écris pas pour le Prince, je contribue au développement de mon pays par le droit et donc au changement. Que je sois écouté ou non est une autre chose qui ne me concerne plus et qui relève de choix et de l’opportunité du politique. Il n’empêche que je serve mon pays et son changement dans la perspective prospective qui affecte ma démarche juridique. Mon service à mon pays ne doit pas être confondu avec l’aide à l’application d’un projet politique qui est avant tout celui d’un parti politique. Sorti vainqueur d’une élection, son projet politique devient un projet de gouvernement. Et quoiqu’on en pense, cela reste un projet partisan, tout le monde peut ne pas s’y retrouver car ce projet peut ne pas correspondre au projet de société souhaité par la majorité des Camerounais, à ne pas confondre avec la majorité sortie des urnes. Ce projet partisan peut même ne pas exprimer celui contenu dans notre Constitution. Pour mémoire, celle-ci demande, entre autres, la mise en place d’un État social, de justice et de paix comme but de la politique. Pour ne prendre qu’un exemple, l’autochtonie dévoyée appliquée n’est pas un projet de société souhaité par notre Constitution. Elle divise et nourrit les crises politiques futures. L’école primaire qui n’est toujours pas gratuite en est un autre exemple qui exclut les pauvres d’une perspective de bien-être.  Alors de quoi m’accuse-t-on et par cela ceux qui auraient la même démarche ? De voir autrement que la politique ne propose ou d’être accroché à la liberté d’apprécier le projet politique de tous les camps politiques ? A quoi sert donc une société civile active ? C’est bien un troisième camp qui doit exister voire prospérer pour le bien des deux premiers camps et de l’ensemble des Camerounais tant son rôle d’aiguilleur ou de vigile est nécessaire. 

Dès lors, si on veut me condamner de faire le choix de me consacrer à la formation de la jeunesse du mieux que je peux ou de me refuser à adopter une posture partisane dans mes sorties au public, il faudrait aussi que certains de ceux-là arrêtent par exemple d’envoyer des « express union », j’allais dire faire des transferts d’argent à leur famille, car ma famille à moi est la communauté des enfants du Cameroun ; ils ne viennent pas écouter un politique dans les amphithéâtres, ils s’y déplacent, au prix de sacrifices énormes des parents pour qui ils représentent l’espoir d’une vie meilleure, en vue de s’approprier les outils d’une méthode critique et d’un emploi, espérant ainsi une vie adulte prospère et productive le moment venu. Qu’ils ne s’en servent pas ou ne trouvent pas du travail à la fin est une autre question qui ne rend pas inutile mon rôle et que doit résoudre le politique. Cette question participe de la politique publique de la formation et de l’emploi. Ce n’est pas mon boulot.  Alors de grâce, qu’on ne me répète plus que je défends ou m’accroche à mes privilèges au Cameroun et que de ce fait mon pays piétine ou s’enfonce ; mon salaire, la contrepartie de mon travail ne me fait pas vivre décemment, loin s’en faut. Et qu’on ne s’y méprenne pas, mon entêtement n’est pas le fait d’un défaut de moyens d’aller voir ailleurs. L’engagement est de l’ordre du sacrifice, cela se fait pas en dilettante entre deux métros. Que certains esprits n’y voient aucunement un besoin de minimiser le temps de l’autre à l’ouvrage, je voudrais tout simplement dire par ce qui précède que personne ne doit revendiquer la paternité exclusive du changement, et pire avec pour seul argument que les autres seraient inutiles, un frein ou n’apportent pas grand-chose au changement espéré.  Ceux qui le disent n’ont pas encore l’âme du politique qui sait mener son action le plus souvent avec détachement, compréhension, patience et mise en situation. Et j’en vois autour de moi et même bien loin de moi. Il est donc de bon ton de ne plus répéter comme un mantra que les Camerounais du pays sont lâches. Mais de quelle lâcheté s’agit-il quand un pays est malade de son élite, qui considère le peuple comme le moyen d’une fin personnelle et la fin de la politique comme l’accès à la mangeoire.  Traiter aussi facilement souvent au loin de lâches des gens désabusés, intimidés au quotidien par le moindre détenteur d’autorité et surtout en perte de repère politique, c’est soit les prendre pour des moutons bons au sacrifice du vendredi (les Camerounais sont avertis depuis John Fry Ndi),  soit se prétendre un messie que les Camerounais n’attendent plus. Certains ont même déjà Jésus qu’ils attendent encore depuis des siècles. C’est cette prétention messianique qui donne à croire à certains qu’ils sont indispensables même grabataires. Qu’on ne se trompe guère, personne n’est indispensable pour un pays si ce n’est pour sa famille nucléaire, et encore ! A la vérité, les indispensables peuplent nos cimetières, ici et ailleurs.

Pr J.F. Wandji K

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