Luigi Di Maio, vice-président du Conseil italien a accusé la France d’appauvrir l’Afrique, notamment en maintenant la colonisation à travers le franc CFA, et d’être ainsi à l’origine du drame des migrants en Méditerranée.

« Si aujourd’hui il y a des gens qui partent, c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont jamais cessé de coloniser des dizaines de pays africains», explique-t-il,  en poursuivant « il y a des dizaines de pays africains où la France imprime une monnaie, le franc des colonies et avec cette monnaie elle finance la dette publique française (…) Si la France n’avait pas les colonies africaines, parce que c’est ainsi qu’il faut les appeler, elle serait la 15e puissance économique mondiale alors qu’elle est parmi les premières grâce à ce qu’elle est en train de faire en Afrique ». « L’UE devrait imposer des sanctions à la France et à tous les pays comme la France qui appauvrissent l’Afrique et obligent ce peuple à parti »

Les économistes spécialistes de l’économie française répondront sur les points relatifs à son classement mondial, mais il nous revient de remettre les allégations du gouvernement italien dans le contexte des attaques dont la France fait l’objet sur le continent africain après cinquante ans d’une  politique néocoloniale et de diplomatie calamiteuse. Pour se faire, un peu d’histoire du franc CFA avec les contributions de  Sadek Basnacki (Révolution permanente) et de l’économiste  spécialiste du franc CFA, Kako Nubukpo :

 Le Franc CFA a une longue histoire. En effet, le franc CFA est le produit de la création de la Banque du Sénégal en 1855, banque créée grâce aux ressources versées par la métropole française aux esclavagistes en guise de réparations après l’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848. Cette banque deviendra, au début du XXème siècle, la Banque de l’Afrique de l’Ouest (BAO), qui aura le privilège d’émission de la monnaie ancêtre du franc CFA qui naîtra officiellement le 26 décembre 1945, dix ans avant la création de l’Institut d’émission de l’Afrique occidentale française (AOF) et du Togo, qui deviendra la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) quelques années plus tard.

L’histoire de la monnaie dans l’Afrique française épouse les contours de la violence esclavagiste, coloniale et postcoloniale. Dans le Monde, l’économiste Kako Nubukpo explique que Macron nie « l’histoire monétaire françafricaine, renvoyant les dirigeants africains à leur servitude monétaire volontaire, les mettant à nu de la pire des façons, à travers des réponses d’une violence symbolique inouïe, dont la plus emblématique fut sans doute : « Le franc CFA est un non-sujet pour la France. » 

Le Franc CFA outil ultime de l’impérialisme français

Le Franc CFA a été créé officiellement le 26 décembre 1945. Six ans avant, la France avait mis sur pied une « zone franc » en instaurant une législation des changes commune au sein de son empire colonial, au début de la Seconde Guerre mondiale. L’objectif était de « se protéger des déséquilibres structurels en économie de guerre » et continuer à s’alimenter en matières premières à bas prix auprès de ses colonies, autant dire du pillage systématique. CFA signifiait « colonies françaises d’Afrique » puis, à partir de 1958, « communauté française d’Afrique ». Lorsque la France a « accordé » l’indépendance à ses colonies africaines, au début des années 1960, elle leur a imposé la reconduction du système de la zone franc. Le FCFA est alors devenu franc de la « communauté financière africaine » en Afrique de l’Ouest, et franc de la « coopération financière en Afrique centrale » pour l’Afrique centrale. Cela devient alors un outil monétaire destinée à avantager les capitalistes français en Afrique, tout en bridant tout développement économique des pays concernés.

Son principe est assez simple et peut être résumé en 4 points. 1- Le Trésor français garantit la convertibilité illimitée du FCFA en euro (autrefois le franc français) ; 2- La parité du FCFA avec l’euro est fixe ; 3- Pour assurer cette parité, les réserves de change des pays de la zone franc sont centralisées dans leurs banques centrales, qui doivent en déposer la moitié sur un compte courant dit « compte d’opérations », logé à la Banque de France et géré par le Trésor français ; 4- Les transferts de capitaux entre la zone franc et la France sont libres. De cette manière, les Etats africains de la zone Franc se voient ôter toute souveraineté monétaire, tout levier monétaire, et constituent les pays du monde où l’accès au crédit est le plus faible. Et les réserves monétaires des différents pays sont maintenues bien loin de leur peuple, au cas où ceux-ci se soulèveraient. Pour assurer ses arrières, l’impérialisme français est allé jusqu’à faire produire les pièces et billets en CFA… à Chamalières, commune de 17 000 habitants, située dans le Puy-De-Dôme à 3 km de Clermont-Ferrand en France. Alors expliquer que « Le franc CFA est un non-sujet pour la France » et ce sans trembler des genoux est une prouesse assez impressionnante.

Les arrangements institutionnels organisant le fonctionnement de la zone franc permet d’accumuler les richesses hors du continent africain. Kako Nubukpo explique qu’ « en effet, la fixité de la parité entre le franc CFA et l’euro, la totale garantie de convertibilité entre ces deux monnaies, et enfin la liberté de circulation des capitaux entre les deux zones (franc et euro), permettent un siphonage en toute légalité des ressources africaines vers des cieux où le capital serait en meilleure sécurité, obligeant les forces productives de la zone franc à recommencer, chaque année, le processus d’accumulation du capital ». Pour la France, et par extension l’Europe depuis le passage à l’euro, ces règles sont intéressantes sur le plan économique. Grâce à la parité FCFA/euro, l’Hexagone peut continuer à acquérir des matières premières africaines (cacao, café, bananes, bois, or, pétrole, uranium…) sans débourser de devises, et ses entreprises peuvent investir dans la zone franc sans risque de dépréciation monétaire. Ces dernières, grâce à la libre circulation des capitaux, rapatrient leurs bénéfices en Europe sans entrave. Les multinationales comme Bolloré, Bouygues, Orange ou Total en profitent tout particulièrement. « Le système permet d’assurer les profits des groupes européens qui ne paient rien pour cette garantie : ce sont les citoyens africains qui, via les réserves de change placées au Trésor français, paient la stabilité du taux de change », observe Bruno Tinel, maître de conférences à Paris 1

Le Franc CFA créateur de pauvreté

En Afrique, de plus en plus de voix s’élèvent pour protester contre ce dispositif, vu comme perpétuant la domination française, surtout depuis quelques mois. Mais déjà en 1996, le président du Gabon, Omar Bongo, a expliqué : « Quand vous demandez à un Français dans la rue, il vous dira : “Ah, pour l’Afrique, on dépense beaucoup d’argent.” Mais il ne sait pas ce que la France récolte en retour, comme contrepartie. Un exemple : nous sommes dans la zone franc. Nos comptes d’opérations sont gérés par la Banque de France, à Paris. Qui bénéficie des intérêts que rapporte notre argent ? La France. » Une chose est certaine : les réserves de change africaines permettent à la France de payer une petite partie de sa dette publique : 0,5 %, selon les calculs de Bruno Tinel. En 2014, les réserves placées sur les comptes d’opérations étaient de 6 950 milliards de FCFA, soit 10,6 milliards d’euros.

Pour les économistes, ce n’est pas un hasard si 11 des 14 pays africains de la zone franc sont aujourd’hui classés parmi les pays les moins avancés. « Les taux de croissance de la zone CFA sont moins élevés sur les dix dernières années » par rapport aux autres pays d’Afrique, a reconnu le rapport « Afrique France : un partenariat pour l’avenir », remis en 2013 aux autorités par l’ex-ministre Hubert Védrine. Si le FCFA n’est pas la seule explication à cette situation, il y contribue grandement.

Macron a même le culot d’expliquer devant les 800 burkinabés rassemblés devant lui lors de sa première tournée africaine que le FCFA est « une bonne chose pour un aspect, ça donne de la stabilité à ceux qui l’ont ». Cette monnaie contrôlée par la France, censée aider les pays africains qui l’utilisent depuis 70 ans est justement l’un des pires fléaux de ces pays. Aucun des 14 pays qui utilisent le franc CFA ne font partis du « Top 10 africain » en termes de compétitivité économique. Pire encore, ces 14 pays figurent sur la liste des 35 pays pauvres très endettés (PPTE), qui font partie des pays les moins compétitifs au monde. Le franc CFA joue un grand rôle dans cette catastrophe.

La politique africaine de la France n’existe pas.. vraiment ?

Comment Macron comme tous ces prédécesseurs, explique qu’il ne faut pas avoir « sur ce sujet une approche bêtement postcoloniale ou anti-impérialiste. Ça n’a aucun sens, ça n’est pas de l’anti-impérialisme, ce n’est pas vrai ». Pourtant lutter contre le Franc CFA qui assouvie les peuples africains ne peut être rien d’autre. Et le chef de l’Etat français a beau dire qu’il n’y a pas de politique africaine française, personne n’est dupe. Les Total, Areva qui pillent le sous-sol du contient, les dictateurs mis en place par la France puis maintenues au pouvoir grâce à elle, le Franc CFA qui enlève toute souveraineté économique aux Etats membres sont bel et bien les dessous de la françafrique.

Macron explique que « la France accompagnera la solution qui sera portée par vos dirigeants. J’accompagnerai la solution qui sera portée par l’ensemble des présidents de la zone franc. S’ils veulent en changer le périmètre, j’y suis plutôt favorable. S’ils veulent en changer le nom, j’y suis totalement favorable. Et s’ils veulent, s’ils considèrent qu’il faut même supprimer totalement cette stabilité régionale et que c’est mieux pour eux, je considère que c’est eux qui décident et donc je suis favorable. » En même temps il ne pouvait pas dire le contraire, un élargissement ne peut être que profitable à l’Etat français qui se gave sur le dos de l’Afrique depuis presque deux siècles maintenant, un changement de nom ne remet en aucun cas en cause le système. Par contre le ton change lorsqu’il est question d’abandonner le Franc CFA. C’est une menace à peine déguisée comme De Gaulle l’avait fait avant lui en 1958 avec la communauté africaine. Sur le papier aussi, les pays africains pouvaient refuser le Franc CFA mais la réalité a été bien différente.

La France Insoumise s’est engagée dès l’élection présidentielle de 2012 (dans le cadre du programme du Front de Gauche à l’époque), à une refonte complète des relations entre la France et les pays africains, notamment monétaires. En 2017 la France Insoumise a repris la base programmatique de 2012  pour l’inscrire au cœur du programme de Jean-Luc Mélenchon qui à l’instar des autres candidats en avait présenté les grandes lignes dans le journal le Monde :

 https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/13/jean-luc-melenchon-son-programme-afrique-nous-combattrons-le-fleau-de-la-predation-ultraliberale-qui-s-abat-sur-le-continent_5110925_3212.html

Concernant le Franc CFA spécifiquement, la position de Jean-Luc Mélenchon est tranchée depuis 2012 :

Malgré l’intérêt d’être une monnaie commune régionale, le franc CFA présente le grave défaut de lier les choix financiers de cette partie de l’Afrique à la BCE et à l’Europe et empêche les pays concernés d’entrer dans la construction d’une Banque centrale africaine. Il est urgent de rendre aux banques centrales africaines francophones la gestion de la politique monétaire qui serait alors adaptée au cycle de leurs économies. Ceci s’accompagnerait d‘un abandon par la France de son droit de vote et de veto dans toutes les instances de ces banques, de l’abandon de l’obligation de déposer 50% des avoirs des pays CFA à la Banque de France, ainsi que l’abandon du pouvoir du conseil des ministres français de décider des parités et dévaluations du CFA.

Cette réforme majeure, qui peut préfigurer d’autres évolutions en lien ou non avec la proposition de l’Union africaine de créer une monnaie commune à toute l’Afrique, devrait permettre de mettre fin à la deuxième extraversion des économies africaines (la première étant les filières de rente) et autoriserait ces banques de jouer pleinement leur rôle dans le financement du développement. Nous défendrons le droit des gouvernements des pays africains, s’ils veulent bénéficier d’un minimum de moyen pour orienter les investissements publics, de prendre des mesures de contrôle des filiales des banques privées, essentiellement françaises, qui constituent souvent le seul réseau bancaire existant.

Patrice FINEL, conseiller Afrique de Jean-Luc Mélenchon 

David CHINAUD, Commission Afrique de la FI

 

 

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