La primauté du droit est l’un des piliers fondamentaux d’une société démocratique.
Les actions que le gouvernement continue de mener dans notre pays pour porter
atteinte aux libertés individuelles et collectives et aux autres droits fondamentaux
consacrés dans la constitution de notre pays, témoignent de ce que les citoyens
camerounais sont lentement poussés à considérer leur gouvernement comme un
adversaire, et non comme un protecteur. Le recours à des méthodes répressives et à
l’usage incroyablement disproportionné de la force contre les manifestants engagés
dans des marches pacifiques, devient progressivement la norme. L’interpellation des
acteurs de l’opposition qui a abouti à l’arrestation inexplicable du Professeur Maurice
Kamto, Président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), ainsi que
de plusieurs alliés, dirigeants et militants de ce parti politique, doit réveiller tous les
Camerounais de leur léthargie et les inciter à demander des comptes au
gouvernement. Les institutions internationales, dépositaires des divers traités signés
par notre pays, doivent également commencer à demander des comptes au
Cameroun.
Aujourd’hui, nous assistons tous à la lente destruction des régions du sud-ouest et du

nord-ouest. La plupart des familles, sinon toutes, peuvent raconter l’histoire de leurs
proches qui ont perdu la vie, qui ont été déplacés à l’intérieur de leur pays ou qui ont
fui le pays à la recherche de meilleures conditions sécuritaires. Les Nigérians qui
fuyaient Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord ont été renvoyés dans leur
pays, à la consternation du HCR, tandis que dans le sud, le Nigéria continue d’absorber
des réfugiés fuyant la crise anglophone. Dans de nombreuses régions du Nord-Ouest
et du Sud-Ouest, les écoles ne fonctionnent pas et l’avenir de nos enfants est
totalement hypothéqué. L’augmentation du nombre de grossesses chez les jeunes
filles est alarmante, car elles sont obligées de rester à la maison ou de se cacher dans
la forêt.

La Cameroon Development Corporation (CDC), le deuxième employeur après l’État,
est sur le point de s’effondrer, de même que de nombreuses autres entreprises dans
ces deux régions. Sans s’attaquer aux causes profondes de la crise dans le nord-ouest
et le sud-ouest, le gouvernement agit comme si la réconciliation et la paix pouvaient
être instaurées par le biais de l’intimidation et de l’oppression. Chaque institution
internationale, ainsi que les pays amis, ont recommandé l’ouverture d’un dialogue
inclusif. Après des milliers de morts, des centaines de villages incendiés, près de 600
000 personnes déplacées et plus de 50 000 réfugiés, le gouvernement ne comprend
toujours pas que l’option qu’il a choisi ne fait qu’aggraver la situation de notre pays.
Le gouvernement a maintenant ouvert un nouveau front dans les régions
francophones du pays en refusant activement et brutalement l’exercice des droits
sociaux et politiques. Ils ont accentué la répression en guise de réponse à la situation
critique des citoyens – la même politique qui a conduit à la crise anglophone.
Si l’on ajoute à cela l’insécurité qui règne dans la région de l’Est et la vague
d’enlèvements dans la région de l’Adamaoua, ainsi que l’augmentation anarchique de
l’animosité ethnique, il y a lieu de s’inquiéter. En refusant les marches pacifiques des
forces de l’opposition, tout en autorisant les groupes pro-gouvernementaux qui
déclarent ouvertement qu’ils marchent pour s’opposer aux manifestations d’autres
Camerounais, il est difficile d’affirmer que le gouvernement ne créé pas délibérément
les discordes entre ses citoyens.

Il est clair que l’intrusion et la destruction de missions étrangères ne peuvent en
aucun cas être tolérées. C’est contre-productif et les plus grands perdants finissent
par être des concitoyens qui ne doivent pas être blâmés pour les actes de notre
gouvernement. Le professeur Kamto a nié tout lien avec ceux qui ont perpétré ces
actes et il serait illusoire d’utiliser cette justification en violant ses droits civils. Nous
devons garder à l’esprit que l’atmosphère sociopolitique au Cameroun est très tendue
aujourd’hui, de plus en plus de Camerounais exprimant leur frustration devant
l’attitude et les actes d’un gouvernement qu’ils considèrent comme agissant dans le
désintérêt des personnes qu’ils doivent protéger. Les moyens de subsistance et même
pire, des vies ont été perdues, et cette colère accentuée peut pousser nos concitoyens
dans leur frustration, à commettre des actes qui franchissent la frontière de
l’acceptable et nuisent à la cause de la justice.
Le récent indice de perception de la corruption de Transparency International, et
même le rapport de la Commission National Anti-Corruption (CONAC), confirment le
fait que la corruption est un cancer qui ronge lentement le tissu de notre gouvernement.

Le récent rapport de la banque Mondiale explique les méthodes
utilisées par les fonctionnaires et les autres autorités gouvernementales pour voler
l’avenir des Camerounais en surévaluant et en surfacturant les biens et les services.
Ce fléau qu’est la corruption est l’une des causes du retrait à notre pays de
l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations que nous aurions dû accueillir en
cette année 2019. Le chef de l’État a été mis dans une situation extrêmement
embarrassante puisqu’il s’est engagé solennellement et sans réserve devant toute la
nation, à veiller personnellement à ce que le Cameroun soit « prêt le jour dit ».
Ironiquement, ceux qui engageaient des marchés de gré à gré au lieu d’appels d’offres
semblent avoir été récompensés par des promotions.

Compte tenu de tout ce qui précède, il est urgent pour le gouvernement de libérer
immédiatement toutes les personnes arrêtées dans le cadre de la crise anglophone,
sans exception. Doivent également être libérées, toutes les personnes arrêtées à la
suite des manifestations pacifiques organisées par les forces de l’opposition. Par
ailleurs, le gouvernement doit urgemment mettre en place un cadre qui garantira les
manifestations pacifiques, protégera les droits des citoyens et garantira la sécurité
des personnes et des biens. Une enquête publique doit être ouverte sur les dépenses
engagées en vue de la Coupe d’Afrique des Nations avec pour objectif ultime
d’envoyer un message fort à tous ceux qui cherchent à s’enrichir illicitement au
détriment de ceux des Camerounais qui travaillent quotidiennement avec
acharnement. Des mesures doivent être prises pour l’organisation rapide d’un forum
national réunissant toutes les parties prenantes, dans l’optique de définir ensemble
une nouvelle voie à suivre et envisager des mesures visant à promouvoir l’état de
droit, la réconciliation et le rétablissement de la paix. Il faut entamer la reconstruction
des villages et la réinstallation des personnes déplacées, le désarmement et la
réinsertion des anciens rebelles, et le retour de nos enfants à l’école. Ainsi, nous
pourrons nous assurer que l’histoire du Cameroun ne se termine pas avec ce chapitre
sombre, mais que nous l’examinerons au préalable et n’oublierons jamais ce qui se
passe lorsque les besoins des quelques cupides supplantent ceux de la majorité.

Akere T. Muna

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