Vous voulez voir une crise linguistique, doublée d’une crise politique, triplée d’une crise constitutionnelle ? Regardez du côté du Cameroun. Un siècle de catastrophe coloniale plus tard, le pays souhaiterait entamer un dialogue, sauf qu’on est à court d’interlocuteurs.

Quand l’actualité internationale nous intéresse, pour paraphraser George Orwell, toutes les crises sont captivantes, mais certaines le sont plus que d’autres.

Celle qui déchire le Cameroun, au centre de l’Afrique, devrait d’autant plus attirer notre attention qu’on parle d’un pays — comme le Canada — membre à la fois de la Francophonie et du Commonwealth, qu’on y croise donc — comme chez nous — francophones et anglophones et qu’on y débat — tout comme ici — des vertus et malheurs du fédéralisme.

C’est une sortie bancale de la colonisation que le Cameroun a effectuée au fil du 20e siècle. D’abord sous tutelle allemande, Français et Britanniques s’emparent du Kamerun pendant la Première Guerre mondiale.

UN PAYS, DEUX PUISSANCES COLONIALES

À l’indépendance, au début des années 1960, une partie du territoire quitte vers le Nigeria, l’autre — formée d’une forte majorité francophone et d’une minorité anglophone — reste soudée au sein d’un fédéralisme qui aurait dû permettre aux deux communautés un développement parallèle.

La descente aux enfers commence en 1972 avec un référendum abolissant le fédéralisme. Dans la nouvelle République unie du Cameroun, la minorité anglophone — concentrée dans les deux provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest — se sent marginalisée, défavorisée.

Les appels à l’autodétermination commencent à se faire entendre dans les années 1990 avec des poussées de fièvre au début des années 2000 lors des célébrations du 40e anniversaire de l’indépendance camerounaise.

Les dernières tensions, les plus graves jusqu’à maintenant, ont éclaté à la fin de 2016, alors que des enseignants anglophones rejetaient la nomination de responsables francophones dans leurs régions et que des avocats exigeaient, toujours dans les régions anglophones, la préséance de la « Common law » britannique. Pour les uns qui réclamaient un retour du fédéralisme, d’autres, plus durs, ont appelé à la création d’un État indépendant — l’Ambazonie — dans les régions anglophones.

37 ANS DE POUVOIR, ÇA USE

La crise a pourri d’autant plus vite et facilement que le Cameroun est aujourd’hui dirigé par un vieillard autocrate, Paul Biya, que la France soutient fermement et aveuglément depuis 37 ans. Biya a répondu par la répression policière aux revendications des anglophones, et l’armée camerounaise a été envoyée contre les plus radicaux chez les séparatistes qui, à leur tour, avaient pris les armes. Selon Human Rights Watch, les affrontements des deux dernières années ont fait plus de 2000 morts.

Comme si les tensions séparatistes ne suffisaient pas, Biya a continué de perpétuer l’illusion démocratique en se faisant réélire en octobre 2018 par la fraude et la répression. Ce n’est jamais bon signe pour la démocratie quand vous trouvez le moyen de jeter en prison votre principal opposant.

Cette semaine, le président camerounais a convoqué pour la fin du mois un « grand dialogue national ». Difficile de trouver terme moins adéquat : avec les principaux leaders séparatistes en exil ou emprisonnés, tout comme les principaux adversaires politiques de Biya, il reste peu d’interlocuteurs crédibles. Déjà, de toute façon, ce qui reste de meneurs anglophones en liberté rejette l’idée.

Par sa démographie, son relief et son histoire, on a surnommé le Cameroun « l’Afrique en miniature ». Un surnom plus vrai que jamais avec une ancienne puissance qui s’impose, des leaders corrompus, des frontières arbitraires et des divergences qui dégénèrent en violence. Il serait temps de secouer cette routine continentale.

  • RICHARD LATENDRESSE

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