A l’occasion d’un séjour au Cameroun, je me suis rendu à Bamenda le 22 novembre dernier. C’était ma première dans cette sublime ville. Partis de Douala aux alentours de 23 heures, notre bus est arrivé dans la célèbre capitale de la région du Nord-Ouest à 8 heures du matin. Sans escale. De Douala à Dschang, il y a une «route». Mais à partir de Babadjou, c’est littéralement l’enfer sur terre. Poussière et inimaginables nids de poule jusqu’à Nkwen. «We must change our tyres everyday here in Bamenda, because of the state of the roads», m’a dit un chauffeur de taxi.

L’état des routes dans celle ville des Grassfields à lui tout seul justifie la Crise Anglophone en cours. Il peut être rétorqué que c’est le lot de tous les camerounais. Que Yaoundé, Douala, Bafoussam, Bertoua, comme les zones rurales, ne sont pas mieux loties. Certes. Mais lorsque l’on réalise que la décision de bitumer une route à Bamenda dépend d’un agent du ministère des travaux publics à Yaoundé, l’évidence saute aux yeux : notre pays a urgemment besoin d’une décentralisation profonde, qu’elle prenne le nom de régionalisme ou, mon souhait, fédéralisme. C’est une nécessité absolue, vitale.

Qu’en était-il avant l’état de chose actuel de centralisme asphyxiant et suicidaire, un héritage colonial jacobin dont la France elle-même se débarrasse?  Dans le cadre de l’état fédéral, entre 1961 et 1972, la Public Works Department (PWD) avait entièrement en charge la construction et l’entretien des routes dans l’état fédéré West Cameroon. Mais à l’abolition du système fédéral en 1972, tous les engins de cette précieuse institution ont été transférés à Yaoundé.  Depuis lors, pour remettre en état une ruelle à Bamenda, la décision et la mise à disposition du matériel nécessaire dépendent de la cité capitale.

L’adage l’affirme : «la où la route passe, le développement suit.» Autrement dit, l’amélioration des conditions de vie des camerounais est sujette à la qualité de la voirie urbaine et du réseau routier national. Que les décideurs à Yaoundé n’en aient pas fait une priorité absolue est une grave faute.

La révision de la nature et de la forme de l’Etat camerounais s’imposent comme une évidence : état de droit et fédéralisme. Le règne de la loi juste et de la liberté. Le Cameroun ne réinventera pas la roue. Et la profondeur et la douleur de la Crise Anglophone exigent ces réformes salvatrices.

Mais au-delà de ces deux exigences fondamentales, sauver l’unité de notre pays, la coexistence paisible entre communautés anglophone et francophone, clivages coloniaux qu’il nous faut sans états d’âme abolir parce qu’il en va de notre survie, requerra de la part de la seconde quelques «gages» de désir de vivre ensemble. Une fusion des héritages coloniaux britannique et français apparaît hasardeuse. Elle n’a pas pu avoir lieu chez nous depuis 1961. Encore moins au Canada, erronément pris en modèle par nos dirigeants : les canadiens anglophones et francophones sont avant toute chose des britanniques et des français qui ont immigré en Amérique : nous camerounais sommes africains ; le Nigéria, l’Île Maurice et la Tanzanie devraient nous inspirer. De mon humble point de vue, nous, francophones,  devons transitoirement devenir «anglophones».

Ce processus est informellement enclenché. Les familles de la zone francophone envoient ce qu’elles ont de plus précieux, leur progéniture, dans les écoles du système anglophone. Et cela est une chose très positive. Nous devons en faire de même dans d’autres domaines, par exemple, le système juridique et celui des poids et mesures.

La liberté n’a pas de prix. L’unité également. Nous ne sommes pas nostalgiques de la culture allemande. Rien ne justifie que nous le soyons de la française, qui, comme la germanique et l’anglaise, nous est complètement étrangère. Toutefois, faire de l’anglais, parce que langue dominante dans le monde d’aujourd’hui et de demain, notre unique officielle, mais aux côtés de la langue nationale de notre terroir, le Fulfulde, compte aussi parmi ces «gages» ; pour être enracinés dans notre culture africaine et ouverts sur le monde. L’un des plus symboliques demeure, à mon avis, parce qu’elle en a tous les atouts, l’érection de la ville de Bamenda en capitale politique fédérale du Cameroun décolonisé, profondément décentralisé et, comme l’ont rêvé nos héroïques Founding Fathers Um Nyobè et Ndeh Ntumazah, uni, libre et solidaire.

 

Ogolong Ondimoni Ombano (JMTV+)

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