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BÉNIN: “Corruption massive, conflits d’intérêts et enrichissement illicite au sommet de l’État,manipulation de la Justice…”(Texte)

« Corruption massive, conflits d’intérêts et enrichissement illicite au sommet de l’État du Bénin et manipulation de la Justice béninoise par l’Exécutif » 

  • Cinq Béninois saisissent 21 organisations nationales, régionales et internationales
  • Une équipe d’avocats et de juristes experts réunie pour appuyer l’action

Plusieurs citoyens béninois viennent de saisir 21 organisations nationales, régionales et internationales pour : « Corruption massive, conflits d’intérêts et enrichissement illicite au sommet de l’État du Bénin et manipulation de la Justice béninoise par l’Exécutif ».

Pour le ministre Ganiou Soglo, l’ambassadeur Rufin Zomahoun, le président Bertin Koovi, le président Léonce Houngbadji et le consultant Justin Azankpo, « les crimes économiques et de corruption décrits ne peuvent et ne doivent rester longtemps impunis ». Ils ont réuni une équipe d’avocats et de juristes experts pour appuyer leur action.

Cette lettre en date du 1er octobre 2020 a été adressée à des ONG béninoises, françaises et américaines. Sans oublier des institutions régionales et internationales spécialisées dans la promotion de la bonne gouvernance, la lutte contre les crimes économiques graves et la défense des communautés victimes de la délinquance économique et financière. Plusieurs gouvernements en Europe, en Asie et aux Etats-Unis ont été également informés de la situation du Bénin en matière de « corruption massive, conflits d’intérêts et enrichissement illicite au sommet de l’État et manipulation de la Justice par l’Exécutif ».

Extrait de la lettre :

« …Paris, le 1er octobre 2020

 Nous vous alertons sur une plainte déposée contre le président de la République du Bénin, Monsieur Patrice Talon, pour « corruption et enrichissement illicite ». Adressée le 27 août 2018 à l’Autorité Nationale de Lutte contre la Corruption  (ANLC), cette plainte mentionne de multiples cas précis de conflits d’intérêts.

Il faut savoir qu’au moment des faits, l’ANLC était sous l’autorité directe du président de la République, avant d’être finalement dissoute quelques mois plus tard, sans qu’aucune instruction judiciaire n’ait été ouverte. Par conséquent, ni l’ANLC ni le Procureur de la République n’ont, à ce jour, fourni la moindre information au public concernant ladite plainte.

Le président de la République, président du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), a intégré trois de ses ministres à cette institution, sans oublier un certain nombre de personnalités extérieures qui lui sont proches. Cette composition, par son caractère partial et politique, compromet en soi le travail des magistrats désormais devenus minoritaires au sein de leur propre institution (cf. communiqué Union Nationale des Magistrats du Bénin du 22 juillet 2018). Face à ce constat, notre principale inquiétude est que la plainte, dont cette lettre se fait l’écho, ne puisse jamais aboutir, tant que l’actuel président de la République restera aux manettes du Bénin.

Dans le même registre, plusieurs députés ont avoué avoir reçu de l’argent de la part du gouvernement, pour qu’ils votent en faveur du projet de révision de la Constitution du 11 décembre 1990 proposé par l’Exécutif en avril 2017. Le 11 novembre 2018, l’ex-Première Dame du Bénin, Madame Rosine V. Soglo, qui a siégé à l’Assemblée nationale, reconnaissait avoir reçu cinq millions de francs CFA, soit 7 500 euros, de la part de Monsieur Romuald Wadagni, ministre des Finances. Très attachée à la bonne gouvernance, Madame Rosine Soglo a réitéré ces accusations, à la fois lors de débats parlementaires ou dans des émissions politiques. Et comme pour la plainte jointe à cette lettre, ni le gouvernement, pourtant directement pointé du doigt (via le ministre des Finances), ni la Justice béninoise, n’ont jusque-là réagi.

D’autre part, le député Atao Hinnouho a quant à lui confirmé avoir reçu, devant témoin, des « commissions » directement de la part de ce même Président, au domicile de ce dernier, dans le but de le convaincre de voter également en faveur du projet de révision de la Constitution. Le député a également par la suite affirmé avoir refusé lesdites « commission » des mains du président Talon. Ces aveux lui ont coûté cher : Monsieur Hinnouho a été arrêté, diagnostiqué « déficient mental » par un anesthésiste du Centre National Hospitalier Universitaire de Cotonou (et non par un psychiatre), puis jeté en prison (et non dans un hôpital psychiatrique) où son état de santé s’est sérieusement dégradé. Depuis lors, le député est introuvable.

Par ailleurs, à la crise politique béninoise s’ajoute une totale opacité dans l’attribution des marchés publics. Ces quatre dernières années, le gouvernement a multiplié les contrats de partenariats public-privé (PPP), tout en méprisant l’article 78 de la Loi N°2016-24 du 28 juin 2017 portant cadre juridique du partenariat public-privé en République du Bénin. Pourtant l’article 78 stipule que « tout contrat de partenariat public-privé signé par la personne publique est transmis dans un délai de trente jours ouvrables, à compter de la date de signature, à l’Assemblé nationale pour information ». Malgré un nombre incalculable de questions orales et écrites de certains députés de la 7ème législature à l’attention du président Talon et de son gouvernement, leur demandant le respect strict des textes, cette disposition légale n’a jamais été respectée. Au Bénin, tout se fait, se négocie, s’achète, dans une totale obscurité.

Depuis quelques mois, l’Ong Social Watch Bénin mène une vaste campagne médiatique afin d’inciter le gouvernement à publier les contrats PPP : conférences de presse, panneaux publicitaires, émissions radiophoniques et télévisuelles, etc. Malgré cela, le gouvernement et son chef restent retranchés dans un mutisme total.

Enfin, c’est toujours dans la même extraordinaire opacité que le président béninois s’est arrogé le droit constitutionnel, en novembre 2019, de ratifier seul les accords de prêts au nom du peuple béninois, en lieu et place du Parlement, dont pourtant, la totalité des membres lui est acquise, à la suite de l’exclusion de l’opposition des élections législatives du 28 avril 2019.

Par cette modification constitutionnelle opportuniste, il est stipulé que le président de la République peut attendre trois mois pour informer le Parlement de la ratification de ces accords de prêts. Depuis la mise en place de cette disposition, les accords de prêts sont signés dans la totale opacité, et personne ne sait, une fois encore, où va l’argent. Le climat est délétère, avec des créanciers qui pourraient ne jamais récupérer les sommes prêtées, dans la mesure où il n’est pas du ressort du chef de l’Etat de signer les accords de prêts, le Bénin ne disposant pas aussi, à l’heure actuelle, d’un Parlement légitime agissant au nom du peuple.

Il est nécessaire de tirer la sonnette d’alarme sur la situation personnelle du président de la République. Un chef d’Etat, qui est juridiquement soit administrateur soit actionnaire unique de ses propres sociétés (aucune publication à ce jour d’annonces légales au journal officiel du Bénin n’atteste, en conformité avec les règles de l’OHADA, d’un quelconque   retrait de Monsieur Patrice Talon de ses sociétés), parmi lesquelles certaines ont signé des contrats avec le même État qu’il dirige. Parmi ces entreprises, il y a la société Bénin Control SA, qui gère les procédures et la collecte des recettes douanières – et qui, par exemple, encaisse 75% des revenus issus du tracking des marchandises, laissant les 25% restants à la Douane (cf. Arrêté n°2669 du 28 août 2018). Une preuve flagrante de conflit d’intérêt.

Nous attirons ainsi votre attention sur ce qui se passe réellement au Bénin en matière non seulement de conflits d’intérêts au sommet de l’État, de corruption institutionnelle, mais aussi en ce qui concerne le principe inaliénable de l’indépendance du pouvoir judiciaire qui est aujourd’hui piétiné par l’Exécutif, dans un silence assourdissant.

Nous vous saurons gré des dispositions qu’il vous paraîtra juste de prendre en tenant compte de ces informations, très facilement vérifiables, avec en appui les documents évoqués tout au long de cette lettre. Au nom des valeurs qui vous animent, vous conviendrez avec nous que ces formes de crimes économiques et de corruption ne peuvent et ne doivent rester longtemps impunies.

Ont signé :

  1. Léonce HOUNGBADJI : Journaliste de profession – auteur des ouvrages : “Bénin : Le casse du siècle – Comment Patrice Talon fait main basse sur le Bénin, son élite, sa démocratie et son argent” et   “Résistons : Le Bénin à l’épreuve du dictateur Patrice Talon” – président du Parti pour la Libération du Peuple (PLP).
  2. Bertin KOOVI : Président de l’Alliance Iroko, ancien candidat à la présidentielle de mars 2016 au Bénin.
  3. Ganiou SOGLO : Ancien député, ministre des Sports puis de la Culture de 2007 à 2011, fils cadet du Président Nicéphore Dieudonné SOGLO.
  4. Rufin ZOMAHOUN : Ancien ambassadeur du Bénin près le Japon.
  5. Justin AZANKPO : Béninois de la diaspora en France.

Pièces jointes :

  1. Copie de la plainte ; 
  2. Lettre à Jean-Baptiste Elias, Président de l’ANLC ;
  3. Annonce légale APIEx Société Commune de Participation (SCP SA) du 23 septembre 2016 (http://www.gufebenin.org/images/documents/230916.pdf – Page 21) ;
  4. Annonce légale APIEx Compagnie Cotonnière du Bénin (CCB SA) du 27 septembre 2016 (http://www.gufebenin.org/images/documents/270916.pdf – Pages 26-27) ;
  5. Annonce légale APIEx Société de Distribution Intercontinentale (SDI SA) du 29 septembre 2016 (http://www.gufebenin.org/images/documents/290916.pdf – Page 29-30) ;
  6. Annonce légale APIEx Société Cotonnière de N’Dali (SCN SA) du 29 septembre 2016 (http://www.gufebenin.org/images/documents/290916.pdf – Page 24) ;
  7. Annonce Légale APIEx Société de Participation des Importateurs et Distributeurs des Intrants agricoles (SOPIDI SA) du 29 septembre 2016 (http://www.gufebenin.org/images/documents/290916.pdf – Page 27) ;
  8. Annonce légale APIEx Société d’Investissement et de Gestion Immobilière du Bénin (SIGIB SA) du 04 octobre 2016 (http://www.gufebenin.org/images/documents/041016.pdf – Page 25) ;
  9. Annonce légale APIEx Bénin Control SA du 02 novembre 2016 (http://www.gufebenin.org/images/documents/021116.pdf  – Page 24);
  10. Annonce légale APIEx Bénin Control SA du 04 novembre 2016 (http://www.gufebenin.org/images/documents/041116.pdf – Page 25) ;
  11. Arrêté ministériel Année 2016 N°2570/MEF/DC/SGM/DGB/SP du 22 juillet 2016 ;
  12. Communiqué de l’UNAMAB du 22 juillet 2018 ; 
  13. Communiqué de l’UNAMAB du 26 octobre 2018 ;
  14. Arrêté n°2669 du 28 août 2018 portant répartition de la redevance tracking sur les marchandises et les camions de ciment en transit ;
  15. https://www.africaintelligence.com/lce/business-circles/2019/07/10/securiport-secures-dollars95-million-win-against-talon,108365005-art ;
  16. Cf. https://www.banouto.info/article/economie/20180203-bnin-partenariat-public-priv-pourquoi-talon-doit-faire-publier-les-contrats/)

(Cf. https://socialwatch.bj/?p=285.

  1. Lettre à la Directrice Générale du Fonds Monétaire International (FMI) à propos de « l’exécution de contrats léonins par le Gouvernement du Bénin au profit de Bénin Control SA, société appartenant au Chef de l’Etat du Bénin », et des « immenses dangers sur les finances publiques » en date du 11 septembre 2017.
  2. Lettre du 28 septembre 2017 adressée à la Directrice Générale du FMI sur la «Procédure d’entente directe érigée en règle dans l’attribution des marchés publics au Bénin ».

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