Le 19 juillet 2010, l’hebdomadaire camerounais La Nouvelle Expression publiait dans ses colonnes un document intitulé : Ecrit à Paris le 8 janvier 1953 par UM NYOBE.   (Sources : l’hebdomadaire Le Messager) Dans un document annexé  figurait un dossier précieux pour le chercheur que je suis, intitulé OSENDE AFANA : HERITIER D’UM NYOBE)

Je vous épargne le passage consacré aux luttes des différentes factions de l’UPC, divisée alors en « faction soviétique » et en « faction chinoise », pour me concentrer sur le dossier consacré à OSENDE AFANA.

«Le principal responsable de la branche « chinoise » se trouve, au moment de la chute de NKRUMAH et de l’emprisonnement de TCHAPCHET, dans le maquis camerounais, OSENDE AFANA, docteur ès sciences  économiques, auteur d’un ouvrage théorique sur l’Economie de l’Ouest africain soutient depuis longtemps que le combat révolutionnaire doit être mené dans le pays même, au milieu des populations, et de préférence à partir des régions les plus déshéritées. Payant  d’exemple, il a franchi  clandestinement la frontière début 1965,venant du Congo-Brazzaville dont le régime ami, bien que menacé, fournit aux maquis camerounais des armes et quelques subsides. Mais la thèse d’OSENDE est que l’UPC doit revoir entièrement sa conception de lutte. Faction armée n’est pas une fin en soi, ni même un commencement utile si elle n’est pas supportée par un large consentement populaire. Les combattants révolutionnaires ont trop négligé jusqu’à maintenant le travail d’éducation sociale et politique des masses rurales. Le terrorisme a même dégénéré souvent en cruauté inutile, voire en banditisme. Désigné comme « secrétaire général provisoire » de l’UPC (tendance prochinoise), il s’est installé dans le département sous-peuplé et sous-administré de Boumba-N’goko que le gouvernement semble abandonner à lui-même, une des rares régions du Cameroun restée en marge de la scolarisation, et qui ne connaît de l’autorité centrale que des patrouilles militaires. Avec une équipe de militants, OSENDE visite les villages, exhorte les paysans à construire eux-mêmes des écoles, donne aux malades des soins élémentaires, enseigne des rudiments d’agriculture aux cultivateurs et s’efforce de constituer des cellules rurales de l’UPC. Mais le Cameroun qu’il retrouve après les années d’absence n’est pas celui dont il rêvait au Quartier latin ou à la faculté de Droit de Toulouse, ni celui qu’on décrit dans les conférences révolutionnaires afro-asiatiques. La population est méfiante envers « ces étrangers » et peu disposée à encourir la répression des forces de l’ordre. OSENDE et ses camarades sont rapidement dénoncés aux autorités camerounaises. Ils échappent une première fois à une patrouille le 5 octobre 1965. Le président de la République M. Ahmadou AHIDJO, donne l’ordre de les ramener vivants à Yaoundé. Il ne désespère pas de rallier OSENDE à son régime. Ce jeune économiste , déjà considéré à Paris dans les milieux spécialisés, serait une recrue de qualité, dont l’amende honorable aurait du retentissement chez les étudiants et les intellectuels encore en état de rébellion morale.

« Une opération est montée en février 1966 pour capturer le secrétaire général provisoire de l’UPC. Un chef de village s’en fait le complice. Prétextant la maladie d’un membre de sa famille, il dépêche un messager à OSENDE. Celui-ci sans méfiance envoie une équipe médicale. Mais des gendarmes en civil sont dissimulés dans le village. Ils se saisissent des militants upécistes et, comme ceux-ci tentent de résister, en tuent plusieurs. Un fuyard qui erre dans la forêt, essayant de regagner le camp de base de l’UPC, met involontairement les gendarmes sur la piste. Le 5 mars le maquis est encerclé. OSENDE, une seconde fois, réussit à s’échapper. Mais cet intellectuel mal adapté à la rude vie de brousse perd en courant ses deux paires de lunettes et ses sandales. Il erre dans la forêt pieds nus, en aveugle, pendant plusieurs jours, avec un seul compagnon. Il tombe sur une nouvelle patrouille. Le gradé qui la conduit, oublieux des consignes, ou incapable de reconnaître deux va-nu-pieds exténués, « l’intellectuel à lunettes » qu’on lui avait signalé, fait exécuter sur place ces hors-la-loi qui ne répondent pas aux sommations. Ainsi périt, entre le 10 et le 15 mars 1966, OSENDE AFANA, docteur en économie politique, qui croyait à la révolution camerounaise et pensait qu’un intellectuel doit payer d’exemple. Coïncidence étonnante : le plus valeureux des derniers leaders de l’UPC a trouvé une mort presque identique à celle du fondateur du mouvement pionnier de l’indépendance, le prestigieux Ruben UM NYOBE. Comme OSENDE, UM, le « Mpodol » (en dialecte bassa le « Sauveur », celui qu’on appelait l’Ho Chi Minh du Cameroun, et dont le nom, de 1946 à 1958 a symbolisé la revendication nationale), a été tué, huit ans plus tôt, dans la forêt bassa, par une patrouille de soldats africains : parce qu’en s’enfuyant, il emportait à la main une serviette, on l’avait pris pour un « intellectuel »et, malgré les ordres, on avait tiré. Le Cameroun est quand même devenu indépendant, sans UM et sans l’UPC. Peu de mouvements révolutionnaires africains auront eu un chef de sa valeur. Mais le rayonnement personnel ne suffit pas, quand il est au service d’une analyse politique erronée. L’échec d’UM NYOBE, comme huit ans après, l’échec de son héritier spirituel  OSENDE AFANA (ou la défaite de Bakary DJIBO, au Niger), c’est, d’abord, le résultat d’une appréciation inexacte du rapport des forces. »

Conclusion du document :

« Le jugement de l’histoire

*– « OSENDE, lui, est parti pour Brazzaville. Il a ensuite franchi la frontière dans la région de Moloundou, aux confins du Cameroun, du Congo et de la République centrafricaine. Il a emmené avec lui plusieurs militants, dont François FOSSO, ancien dirigeant de la JDC. Son « groupe Um Nyobe » va tenir le maquis plusieurs mois, sans liaison avec le petit groupe d’OUANDIE, qui opère de son côté de plus en plus discrètement, en pays bamiléké. Désormais OSENDE est coupé des émigrants d’Accra et de Conakry, qui continuent à s’entre-déchirer sans plus être une menace sérieuse pour le régime AHIDJO.  La chute de NKRUMAH en février 1966 a entraîné l’arrestation, par les militaires ghanéens anticommunistes, des derniers militants en exil du Comité révolutionnaire. La mort d’OSENDE AFANA, tué en mars 1966, a privé l’autre tendance de son militant le plus sérieux. La révolution est toujours un pari. Lorsqu’on le perd, il faut payer. Des dirigeants politiques comme UM NYOBE, Félix MOUMIE, OSENDE, des chefs militaires comme NYOBE PANDJOCK, David MITTON, Noe TANKEU, sont morts comme des hors-la-loi, pour avoir mal apprécié le rapport des forces. Mais ils n’étaient pas des médiocres. Tôt ou tard, l’histoire camerounaise réhabilitera leurs noms, sans abaisser pour autant ceux de leurs adversaires. Car l’histoire d’un peuple est faite de ces alternances. »

Le cas de OSENDE AFANA est symbolique des combats de chiffonniers qui opposèrent au milieu des années 60 l’UPC qui s’était coupée en deux factions idéologiques, « pro-soviétique » et « pro-chinoise », désormais lancées dans une compétition impitoyable ; le premier groupe comprenait Jean-Martin TCHAPCHET, Michel NDOH et WOUNGLY MASSAGA, qui avaient longtemps coopéré avec le parti communiste soviétique et entretenaient de bons rapports avec les pays du bloc soviétique. Les figures marquantes du second groupe sont incarnées par OSENDE AFANA, et épisodiquement Abel KINGUE, déjà rongé par la maladie. Les activités de ce groupe sont très intéressantes à suivre ; en effet, la chute du régime ghanéen de KWAMEH NKRUMAH à la suite d’un coup d’Etat le 24 février 1966 fit exploser complètement le groupe « pro-chinois », ce qui faillit profiter surtout au régime d’AHIDJO. A cet égard, le dossier qui nous sert ici de source apporte un florilège d’informations afférant aux égards dont OSENDE AFANA fit l’objet de la part du régime de Yaoundé ; elles démentent ainsi de la meilleure façon les informations macabres diffusées et véhiculées avec beaucoup de certitudes par certains « chercheurs » qui affirment mordicus que AHIDJO avait exigé qu’on lui apportât, au sens propre, la tête d’OSENDE AFANA. A-t-on en effet idée d’imaginer que pendant que le président camerounais cherchait à tout prix à le rencontrer pour le convaincre de rejoindre son gouvernement, où il estimait qu’il avait toute sa place, il ordonnait de lui ramener sa tête ? OSENDE AFANA connut une fin tragique, dans des circonstances où la malchance fut le facteur principal. J’ai tenu à faire cette sortie pour dénoncer tous ceux qui diffusent des informations farfelues, au sens plein du terme ;  et il y en a, des floppées , comme celle que j’ai lue sur un site Web affirmant que lorsque UM NYOBE tomba sous les balles de ses assassins, son corps fut d’abord présenté à AHIDJO, avant d’être acheminé à Boumnyebel;  ou cette autre donnant sur un site Internet la « liste des gens qui, à la demande du Président camerounais tinrent une réunion pour préparer l’assassinat de MOUMIE (sic).»

Je salue avec beaucoup de respect le fait que, dans la conclusion du dossier, les auteurs aient mentionné le nom de MOUMIE parmi les dirigeants politiques et chefs militaires camerounais qui « sont morts comme des hors la loi, pour avoir mal apprécié le rapport des forces. Mais ils n’étaient pas des médiocres. »

Samuel MBAJUM

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