Chers candidats à l’élection présidentielle camerounaise,

Comme vous le savez sans doute déjà, les camerounais de la diaspora de France suivent de façon attentive les évènements qui se déroulent au Cameroun et ils saisissent l’occasion de la prochaine élection présidentielle du 7 octobre 2018 pour manifester maintenant leurs désirs d’agir sur place là où la vie se trouve menacée ou demande à être améliorée. Vous l’avez bien compris, les camerounais de la diaspora veulent rétablir les liens dans le rapport qui les associe au Cameroun. Des liens rendus flous, volontairement ou non, à travers des textes de lois qui dans le temps, souffrent de controverses, à travers de pratiques abjectes, devenues banales par ce qu’acceptées ou tolérées, qui par endroit bafouent la dignité humaine. Les camerounais de la diaspora veulent rétablir ce lien qui fait qu’ils sont de fait et de droit des citoyens camerounais, résident à l’extérieur du Cameroun au même titre que les citoyens camerounais qui résident à l’intérieur du Cameroun. C’est avec ce regard à la fois temporel et spatial que les camerounais de la diaspora ne veulent plus être perçu au Cameroun comme étant une menace. Elle est une opportunité dont le Cameroun doit se saisir pour se développer dans ce monde aujourd’hui globalisé. Comment peut-il en être autrement lorsque la diaspora camerounaise constitue l’acteur principal de la résilience de la population camerounaise face à une longue crise encore inachevée ? Chaque membre de la diaspora y contribue en envoyant 50 € à un membre de sa famille, à un ami, à un voisin, pour les soins, pour les fournitures scolaires etc. La diaspora camerounaise assume très bien son devoir d’humanité ! Qu’en est-il de ses droits ? Cette question soumise à réflexion au CRACÉSDAF[1] par le RMDCF[2] a conduit à l’élaboration de dix propositions, celles que nous vous présentons aujourd’hui et qui visent à améliorer la vie des camerounais et de sa diaspora.

Des expériences des organisations maliennes et sénégalaises, bien que portées par des petites actions et contributions individuelles depuis la France, mais organisées au niveau local, celles-ci nous ont montré l’importance des mouvements diasporiques connectés en réseau. Compte tenu du caractère disséminé et diffus de la diaspora camerounaise de France au sein des organisations sociales de plus en plus nombreuses, la diaspora camerounaise peut-elle agir sur place au Cameroun, au-delà des communautés de vie d’origine et des familles dans des actions à portées nationales ? Cette question traitée par le CRACÉSDAF a interrogé sur le fonctionnement des organisations sociales actuelles, sur l’organisation des méta-organisations à construire, sur celles qui en émergent et sur leur pilotage transversal.

Le Cameroun est en crise depuis son indépendance, et cette crise a conduit à l’émergence de grandes injustices. Elles se sont aggravées du fait des accélérations auxquelles les populations sont restées soumises. Ces grandes injustices dessinent pour la Cameroun, un espace de risque. Le nombre de camerounais ayant choisi de vivre à l’extérieur de leur pays de naissance connaît aujourd’hui une croissance sans égale en Afrique. Un pourcentage impressionnant de ceux-ci forme une diaspora particulièrement connectée avec le Cameroun, et les qualités de ses membres sont toutes aussi remarquables.

L’analyse des relations des mouvements diasporiques camerounais permet de mesurer que l’émigration camerounaise est un phénomène social important, elle est une opportunité dont jouit le Cameroun à travers les transferts de fonds, la survie des familles, les signes de réussite sociale, et son rôle productif dans le développement induit du Cameroun. Jusqu’ici, on ne sait pas encore mesurer ce rôle.

Les mouvements diasporiques ont des informations qu’ils souhaitent mettre à disposition, et ou recherchent des informations qu’ils voudraient recueillir pour agir là où la vie est menacée ou demande à être améliorée. Mais très souvent, de l’expérience de nombreux membres des mouvements diasporiques camerounais, la perception selon laquelle l’élite camerounaise éprouve un rejet de sa diaspora domine.  Cette perception se mesure concrètement dans la problématique de la double nationalité, dans l’aversion à utiliser ses cadres et ses intellectuels de l’étranger, comme le font si bien des pays comme le Rwanda, l’Éthiopie, le Ghana etc.

Globalement, la diaspora reconnaît assumer ses devoirs envers le Cameroun, ces devoirs qui font que les membres de la diaspora soient des citoyens camerounais de fait.  À contrario, la diaspora camerounaise a le sentiment que le Cameroun, tout au moins les gouvernants camerounais ne lui reconnaissent pas ses droits.

L’influence de la diaspora camerounaise

Jusqu’en 2013, les camerounais avaient globalement une perception tronquée de l’influence de la diaspora sur le Cameroun. La mesure de cette influence se limitait à un phénomène discret, diffus qui se traduisait sur place par des signes extérieurs de réussite sociale, très souvent éphémères certes, mais qui dans le temps, pour peu que l’on s’y intéresse, peut devenir une force si on l’organise. L’État du Cameroun a eu tort de ne pas s’intéresser à sa diaspora lorsqu’il a connu sa double transition démographique et épidémiologique. Il s’est concentré sur les retombées du point d’achèvement PPTE. Rien d’étonnant qu’il ait à nouveau échoué. On sait aujourd’hui en 2018 que le Cameroun ne peut pas décoller sans sa diaspora, on sait également aujourd’hui que la diaspora camerounaise a un tel pouvoir sur les familles et sur les membres d’une même communauté de vie que la diaspora est en passe de devenir l’élite légitime pour les communautés de rapprochement.  On assiste de plus en plus à un décentrement de l’élite postcoloniale peu légitime vers un nouveau type d’élite légitimé du fait de son rapprochement continu avec les membres de sa communauté de vie d’origine. L’élite de la diaspora ainsi légitimée, suit de façon attentive la vie sociale dans sa communauté d’origine. Elle agit dans des villages par le biais des associations, et dans tous les domaines de la vie communautaire. Nombreuses sont ces élites qui reçoivent de plus en plus des signes de reconnaissance comme les titres d’anoblissement etc.

Une simulation selon la technique de « l’arbre des causes » et de la règle du « vote voisin » semble indiquer que dans des conditions optimales d’élection transparente au Cameroun, Ce nouveau type d’élite qui entretient déjà des fonctions de production et de reproduction au sein de sa communauté de vie d’origine, peut également y jouer un rôle majeur d’incitation au vote en faveur d’un candidat donné, même si l’élite ne vote pas elle-même. Sur 6 millions de camerounais qui composent la diaspora camerounaise, 20 p. 100 de cette population agit en élite dans sa communauté de vie d’origine. Cela est suffisant pour que l’agrégation des influences de ces nouveaux élites contribuent à neutraliser ou à faire basculer une élection au Cameroun.

LES 10 PROPOSITIONS

1 – SUR LA NATIONALITÉ CAMEROUNAISE

Proposition 1 : Reconnaître le fait qu’un camerounais puisse avoir plusieurs nationalités

Inscrire le Cameroun dans la modernité en abrogeant le Code de la nationalité qui date du 11 juin 1968 afin d’autoriser pour tous les camerounais, sans discrimination aucune, la possibilité d’avoir plusieurs nationalités ;

2 – SUR LA CITOYENNETÉ CAMEROUNAISE ET LA VIE CITOYENNE

Proposition 2 : Reconnaître la citoyenneté camerounaise dans l’exercice des faits

Rétablir les droits des usagers tels qu’ils sont stipulés dans la fiche des fonctions des corps consulaires, supprimer le visa pour les camerounais de la diaspora pour faciliter et accélérer leurs déplacements vers le Cameroun, et créer un espace d’information socio-économique et socio-culturelle sur le Cameroun destiné à la diaspora ;

3 – SUR LA GOUVERNANCE : AUTO-ORGANISATION ET ÉCO-ORGANISATION

Proposition 3 : Créer une structure de pilotage transversal des organisations sociales camerounaises

Créer une agence de la diaspora pour le Cameroun afin de faciliter le pilotage transversal des faits de citoyenneté, des faits de mémoire et des actions multisectorielles ;

4 – SUR L’ACTIVATION D’UNE CONSCIENCE COLLECTIVE À L’EXTÉRIEUR DU CAMEROUN

Proposition 4 : Activer une conscience collective à l’extérieur du Cameroun

Donner à l’agence de la diaspora pour le Cameroun les missions suivantes :  archiver les faits de mémoire pour les faire rappeler, d’harmoniser les relations humaines là où la vie est menacée où demande à être améliorée, d’assurer le renforcement et la proximité des partenariats entre les acteurs locaux et la diaspora, d’orienter les activités vers les composantes productives et vers les composantes qui améliorent les conditions de vie des populations, de mettre en place une plateforme dotée d’un fond social et d’un fond d’investissement. C’est de ces missions que se matérialiserait une conscience collective partagée à l’extérieur du Cameroun.

5 – SUR LA CIRCONSCRIPTION ‘GÉOGRAPHIQUE’ DE LA DIASPORA CAMEROUNAISE

Proposition 5 : Faire de la diaspora la onzième région du Cameroun.

Faire de la diaspora une ‘partie prenante’ du Cameroun, en qualifiant sa région géographique comme étant la onzième région du Cameroun.

 

6 – SUR LA REPRÉSENTATIVITE NATIONALE DES MOUVEMENTS DIASPORIQUES CAMEROUNAIS

Proposition 6 : Représentativité de la diaspora

Faire élire des représentants des mouvements diasporiques au parlement et au sénat.

7 – SUR L’ACCES DE LA DIASPORA AUX MARCHÉS PUBLICS ET PRIVÉS

Proposition 7 : Marchés sélectifs pour les investissements de la diaspora.

Donner la possibilité à la diaspora d’accéder aux marchés locaux privés et publics pour faciliter les investissements.

8 – SUR LES EXONÉRATIONS DOUANIERES ET LA REMISE EN CAUSE DES ACCORDS ‘NÉGATIFS’

Proposition 8 : Exonérations douanières pour la diaspora, remise en cause des APE et intégration sous-régionale.

Proposer des exonérations douanières aux membres de la diaspora camerounaise dans le cadre de l’investissement ; Remettre en cause les APE pour lesquels le Cameroun s’est engagé tout seul en région CEMAC et qui met en péril l’avenir économique du Cameroun en termes de recettes fiscales, d’emploi, de croissance et de prospérité.  Créer des conditions idoines pour que le Cameroun participe à termes à un groupe régional ayant sa propre monnaie, une monnaie différente du CFA.

9 – SUR LA SÉCURITÉ SOCIALE ET LA SANTÉ POUR TOUS

Proposition 9 : Les soins de santé pour tous.

Création d’une prise en charge universelle fondée sur un modèle durable non lucratif, mais qui s’appuie sur un financement mixte (financement international, financement de l’État, financement des citoyens). Parmi les citoyens, la participation de la diaspora peut être déclinée sous la forme d’une contribution volontaire lors de l’achat d’un billet d’avion, sous la forme d’une taxe en remplacement du visa supprimé (Cf. proposition 2), sous la forme de cotisation à une mutuelle de prise en charge des personnes souscriptrices par un tiers membre de la diaspora.

Enfin, renforcer les capacités sanitaires par l’accueil épisodique des professionnels de santé de la diaspora.

10 – SUR LE DIALOGUE NATIONAL ET LA PAIX DANS LE TERRITOIRE

Proposition 10 : Dialoguer et rechercher les moyens d’une paix durable

Instaurer très rapidement et dès les trois premiers jours de la prise de fonction, un climat de dialogue sans exclusive entre les différentes classes politiques et sociales, les représentants de la diaspora, de la société civile et chefs traditionnels, inscrire la question de la forme de l’État dans les débats et appliquer tout de suite la constitution de 1996 sur la décentralisation.

[1] Cercle de Réflexion et d’Action Culturelle, Économique et Sociale de la Diaspora Africaine de France. En tant qu’organisation, elle agit selon les besoins hiérarchisés des différents mouvements diasporiques en son sein.

[2] Rassemblement des Mouvements Diasporiques Camerounais de France

Par Cyrille MBIAGA (1) et Mireille EBENE (2)

 

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